Comment l'inversion de deux lettres dans le Rouleau des Lamentations nous révèle la cause de la destruction et le chemin vers la reconstruction.
Cette étude plonge au cœur du 9 Av en explorant un Midrash sur trois grands prophètes : Moïse, Isaïe et Jérémie. Tous trois ont utilisé le mot "Eikha" (Comment) pour décrire l'état d'Israël, mais sous des angles différents. Nous découvrirons comment le prophète Jérémie, dans le Rouleau d'Eikha, a encodé la cause même de la destruction — la faute des explorateurs — à travers une inversion stupéfiante de deux lettres de l'alphabet, nous enseignant que la parole (la bouche) ne doit jamais précéder la vision (l'œil).
Le Midrash nous enseigne qu'Israël a eu trois grands "bergers" ou prophètes qui ont chacun perçu la nation à un moment clé et ont tous utilisé le même mot poignant : Eikha (אֵיכָה), "Comment".
Il a vu Israël dans sa tranquillité, mais a perçu le fardeau de sa charge. Dans la paracha Devarim, lue juste avant le 9 Av, il s'exclame :
Moïse représente la racine de l'âme d'Israël, la source de la Torah.
Il a vu Israël dans sa splendeur mais a prophétisé sa chute future. Dans la Haftara précédant les trois semaines de deuil, il se lamente :
Isaïe représente la vision et la consolation, l'aspect de la bonté (Chesed).
Il a vu Israël dans sa destruction. Il est l'auteur du Rouleau des Lamentations (Meguilat Eikha), qui commence par ces mots :
Jérémie représente la destruction et la rigueur (Gevourah).
Le saint Ari zal (dont le yahrzeit, anniversaire de décès, est le 5 Av) révèle un lien encore plus profond : un lien de réincarnation (gilgoul) entre ces trois âmes prophétiques. Moïse est la racine, et Isaïe et Jérémie sont deux facettes (bonté et rigueur) qui émanent de cette même racine spirituelle.
Nos Sages trouvent une logique profonde mais inversée dans l'ordre des Haftarot lues pendant les trois semaines de deuil.
L'ordre des Haftarot de Jérémie et Isaïe nous présente une séquence qui mène à la destruction :
Cet ordre — parler, puis entendre, puis voir — est l'ordre qui nous a menés à la situation de destruction. C'est l'ordre inversé.
L'ordre correct, l'ordre de la construction, est l'inverse. C'est le secret de la sagesse (Habad : Hokhma, Bina, Daat) :
Parce que le peuple d'Israël a inversé cet ordre divin, la catastrophe est arrivée. Ce thème de l'inversion est la clé que Jérémie a cachée dans son rouleau.
Le prophète Jérémie n'a pas seulement pleuré la destruction ; il a ingénieusement intégré sa cause profonde dans la structure même du texte des Lamentations.
Les chapitres 1, 2, 3 et 4 du Rouleau d'Eikha sont écrits sous forme d'acrostiche alphabétique. Chaque verset (ou groupe de versets) commence par une lettre successive de l'alphabet hébreu, de Aleph (א) à Tav (ת).
Jérémie nous montre ainsi qu'il maîtrise parfaitement l'ordre. Le chapitre 1, par exemple, suit l'ordre parfait. C'est pour nous dire : "Regardez, je connais l'alphabet. Si je change quelque chose, ce n'est pas une erreur, c'est un message."
Un phénomène unique et troublant se produit dans les chapitres 2, 3 et 4. Alors que tout l'alphabet est en ordre, une perturbation se produit. Dans l'ordre alphabétique normal, la lettre précède la lettre Pé (פ).
Ayin (Œil) vient avant Pé (Bouche). On voit avant de parler.
Dans les Lamentations, Jérémie inverse délibérément cet ordre. Le verset commençant par Pé précède celui commençant par Ayin.
Pé (Bouche) vient avant Ayin (Œil). On a parlé avant de voir.
Cette inversion est la signature de la catastrophe. C'est le diagnostic de Jérémie : la raison de la destruction, c'est qu'ils ont échangé l'ordre entre la bouche et l'œil.
Cette inversion Pé-Ayin n'est pas une abstraction. Elle renvoie directement à la faute originelle qui a scellé le destin du 9 Av : le péché des explorateurs (Meraglim).
Quel fut le péché des explorateurs ? Ils sont allés voir la terre. La mission était VOIR (Ayin). Mais à leur retour, avant même de laisser le peuple se faire sa propre idée, ils ont PARLÉ (Pé). Ils ont fait un mauvais rapport, décourageant le peuple.
Ils ont fait passer la bouche avant l'œil. Ils ont parlé avant de vraiment "voir" et comprendre.
Cette nuit-là était la nuit du 9 Av. Parce qu'ils ont fait précéder la bouche (Pé) à l'œil (Ayin), ils ont provoqué des "pleurs pour les générations", la destruction du Premier et du Second Temple.
Après avoir posé son diagnostic, Jérémie nous donne la méthode de guérison dans le dernier chapitre du rouleau.
Le chapitre 5 n'est plus du tout organisé selon l'alphabet. C'est une "salade" de versets. Pourquoi ?
La destruction, c'est quand toutes les briques sont les unes sur les autres sans aucun ordre. Le chapitre 5 nous présente ces briques brisées.
Le message est clair : "Voici les pièces. Maintenant, c'est votre tâche de les réorganiser." Le chapitre commence par l'appel :
C'est un appel à l'action. Pour arriver à "Renouvelle nos jours comme autrefois" (Hadesh yamenu kekedem), nous devons commencer à reconstruire, à remettre les lettres, les briques, dans le bon ordre.
Comment appliquer cette reconstruction aujourd'hui ? Le texte établit un parallèle puissant entre le Temple détruit et nos synagogues actuelles.
Jérémie se plaint : "Tu as couvert d'un nuage (sekhakh) pour que la prière ne passe pas." Dieu, dans Sa colère, a mis une barrière qui empêche nos prières de monter.
Qu'est-ce qui crée ce "nuage" aujourd'hui, alors que nous n'avons plus de Temple ?
Une personne qui parle de choses profanes dans une synagogue, que fait-elle ? La "vapeur" qui sort de sa bouche crée un nuage. Nos propres paroles futiles deviennent la barrière qui bloque nos propres prières.
L'enseignement final est une feuille de route pour la Rédemption. Le chemin vers la reconstruction du Troisième Temple commence ici et maintenant, dans notre comportement au sein de nos "petits sanctuaires".
En remettant de l'ordre dans notre propre service divin, en faisant précéder la vision à la parole, et en respectant la sainteté de nos lieux de prière, nous démantelons le "nuage" qui nous sépare de Dieu.
Si nous savons nous comporter correctement avec les synagogues, les "petits sanctuaires", nous pourrons mériter avec l'aide de D.ieu de recevoir le grand sanctuaire qui est le Troisième Temple, qui sera construit rapidement de nos jours.
Amen. Fort et béni !