Comment le mot "Eikha" (Hélas) relie Moïse, Isaïe et Jérémie à la question originelle posée à Adam.
Cette étude explore le sens profond du mot "Eikha". Loin d'être une simple lamentation, il est un appel divin constant à la conscience. Nous découvrirons comment les trois grands prophètes - Moïse, Isaïe et Jérémie - ont chacun prononcé ce mot pour décrire un état différent d'Israël, et comment tout cela remonte à la question primordiale posée à Adam dans le Jardin d'Eden : "Ayeka ?" - "Où es-tu ?".
Le Midrash sur les Lamentations enseigne que trois prophètes, comme trois "compagnons d'honneur", ont accompagné la Communauté d'Israël à différentes étapes de son histoire. Chacun l'a vue sous un angle unique et a exprimé sa vision par le même mot puissant : "Eikha".
Dans le Deutéronome, juste avant le 9 Av, Moïse se lamente sur la prospérité et la paix relatives du peuple, qui engendrent déjà des problèmes :
"Eikha essa levadi torchahem umasahem verivhem" - "Comment porterais-je seul votre charge, votre fardeau et vos querelles ?"
Isaïe voit Israël au sommet de sa puissance, mais déjà corrompu par l'idolâtrie, la débauche et l'injustice. Il s'exclame :
"Eikha hayta lezona kirya neemana" - "Comment est-elle devenue prostituée, la cité fidèle ?"
Jérémie, le prophète de la destruction, a vu de ses propres yeux le Temple incendié et le peuple partir en exil. Il ouvre le rouleau des Lamentations par ce cri :
"Eikha yashva vadad ha'ir rabati am" - "Comment siège-t-elle solitaire, la ville si peuplée."
À première vue, la "tranquillité" vue par Moïse semble être une bénédiction. Mais en analysant ses paroles, on découvre une profonde calamité cachée. La question se pose : comment l'état décrit par Moïse peut-il être qualifié de "tranquille" ?
Rachi expose la nature de cette "tranquillité" dangereuse :
C'est l'ennui et le manque de défis qui mènent à ces comportements. Quand tout va bien, on commence à se chercher des problèmes. C'est le danger de la tranquillité.
Faisons attention à ce qui s'est passé avant le 7 octobre. Personne ne l'imaginait. Le peuple d'Israël était à son apogée, tout allait bien, il y avait de quoi manger, de quoi boire, on voyageait. La high-tech était florissante.
Que commence-t-on à faire quand on s'ennuie et que tout va bien ? On commence à se quereller, querelle sur querelle, jusqu'à ce qu'un drame vienne nous frapper à la tête.
La leçon est claire : être dans la tranquillité, c'est aussi un danger. C'est pourquoi Moïse les voit dans cet état et pousse déjà un cri : "Eikha !".
Pour comprendre le pouvoir de "Eikha", il faut remonter au tout premier homme. Après qu'Adam a péché, le Saint-Béni-Soit-Il l'interpelle dans le jardin :
"Où es-tu ?"
Dieu sait parfaitement où il se trouve. Cette question n'est pas une demande d'information, mais une tentative de l'éveiller, de l'amener à la prise de conscience.
Or, si l'on prend le mot "Ayeka" sans sa vocalisation, on peut le lire "Eikha". La question divine posée à l'homme devient la question que l'homme doit se poser à lui-même.
Le Saint-Béni-Soit-Il veut qu'Adam se demande : "Eikha ?" - "Où suis-je maintenant ?". Dans quelle situation spirituelle me suis-je mis ?
Cet appel résonne à travers les trois états d'Israël :
La Torah cherche constamment à éveiller l'homme pour qu'il se demande où il en est. Le prophète Ézéchiel dit : "Vous, peuple d'Israël, vous êtes appelés 'homme' (Adam)", et nos Sages précisent que les nations du monde ne sont pas appelées "homme" avec la même intensité.
Notre qualité est d'être des "hommes". De tous les fils du premier Adam, Dieu a voulu que le peuple d'Israël soit le groupe qui amènera le monde à sa réparation (Tikoun Olam). C'est pourquoi cet "homme" doit constamment entendre la voix qui lui parle :
L'homme est appelé "Adam". Il y a deux possibilités fondamentales contenues dans ce nom, deux chemins qu'il peut emprunter.
Quand Dieu demande à Adam son nom, il répond avec une humilité profonde :
Cette réponse pleine d'humilité plut tant à Dieu qu'Il l'embrassa, dit le Midrash. C'est l'aspect de l'homme qui reconnaît son origine matérielle et sa petitesse face au Créateur.
Cependant, si nous prenons le mot hébreu pour "terre", אדמה, et que nous le lisons sans les voyelles, il peut aussi se lire אֶדַּמֶּה (Edameh), qui signifie "Je ressemblerai". C'est une allusion au verset d'Isaïe :
"Edameh la'elyon" - "Je ressemblerai au Très-Haut."
L'homme a donc deux potentiels :
De quoi cela dépend-il ? De notre réponse à la question "Eikha ?". Si tu t'éveilles, tu peux devenir "Edameh la'elyon".
Toutes les lamentations que nous disons le 9 Av se terminent toujours par un verset de consolation. Nous ne perdons jamais l'espoir. Même dans les Haftarot de calamité, la lumière perce. Dans la dernière Haftara que nous lisons, Dieu dit :
Nous sommes les premiers-nés, les prémices du Saint-Béni-Soit-Il. "Tous ceux qui le dévorent seront coupables... le malheur viendra sur eux."
À la fin, l'amour de Dieu l'emporte toujours.
Si nous choisissons d'être "Edameh la'elyon", si nous écoutons la question "Eikha ?" et que nous nous efforçons de nous améliorer et de nous élever, alors béni soit le Nom, nous rapprocherons rapidement la rédemption.
Le Messie viendra, le troisième Temple sera construit, peut-être même avant le prochain 9 Av.
Avec l'aide de Dieu, nous marcherons dans Ses voies, nous serons "Edameh la'elyon", et cela, avec l'aide de Dieu, rapprochera la rédemption, rapidement de nos jours.
Amen !
🌟 Sources de cette Étude :
Midrash Rabba sur les Lamentations • Rashi sur le Deutéronome • Zohar • Enseignements oraux